Surenchère, litanie, fuite... Préférez-vous décider de l'issue de votre conflit ou vous voir imposer la décision du juge des prud'hommes ?

Après une discussion pour rupture conventionnelle qui n’a pas abouti, Nicolas est licencié pour faute grave. Aux prud’hommes, son patron dit qu’il a créé un climat anxiogène.

Les conflits qui animent les prud’hommes reflètent quotidiennement notre histoire sociale. L’audience en bureau de jugement est publique. Régulièrement, une journaliste de L’Express assiste aux débats.

Paris, conseil des prud'hommes, section encadrement, le 11 janvier 2018 à 15h.

Le président des prud’hommes est entouré de deux conseillers et d’une conseillère. Nicolas (1) a fait appel à une avocate, son ex-employeur à un avocat.

Le président des prud'hommes :

« Nous pouvons compter sur votre esprit de synthèse? »

L'avocate de Nicolas :

« Oui, monsieur le président. Le salaire moyen de mon client était de 6 308,90 euros. Dans son intérêt, je vous demande 126 160 euros nets soit 20 mois de salaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 38 387,79 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement, 18 926 euros d’indemnité compensatrice de préavis, 12 425 euros de rappel de 13ème mois et 1 242,50 euros de congés payés afférents, 2 670 euros de rappel de salaire sur mise à pied, 90 292 euros d’heures supplémentaires, 38 387,79 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé, 9 200 euros de prime exceptionnelle, 6 308,90 de perte de droit à la formation et 3 200 euros au titre de l’article 700. »

Le président des prud'hommes :

« Très bien. Le conseil vous écoute. »

L'avocate de Nicolas :

« Mon client a été licencié après avoir passé une grosse partie de sa carrière dans un organisme paritaire lié à la formation. Embauché en 1996, il était responsable informatique, participait au comité directeur et avait toutes sortes de responsabilités. Tout va pour le mieux jusqu’au 20 janvier 2014, date à laquelle le DG lui propose de partir en rupture conventionnelle avec 100 000 euros. Il a une semaine pour réfléchir. Oralement, il accepte, le dit au DG et au directeur des affaires financières, mais demande aussi à toucher sa prime. Contre toute attente, le DG lui dit : « puisque c’est comme cela, tu sors de mon bureau » et deux jours plus tard, mon client est licencié pour faute grave. »  

L'avocat de l'employeur :

« Pourquoi a-t-on licencié pour faute grave quelqu’un qui a connu une ascension constante, qui a été embauché après son contrat de qualification? Tout se passe très bien jusqu’en 2011. Ce salarié a eu le privilège de suivre une formation au sein de l’Edhec. Il nous dit clairement que son intention est de se « challenger » au sein d’une nouvelle entreprise. On peut le comprendre: au-dessus de son poste, il n’y en a plus qu’un: celui de DG. Il s’ennuie et souhaite progresser. Son DAF relève des difficultés comportementales dans le management. Il ne sait pas collaborer avec ses équipes, ce qui entraîne une série de plaintes, certains de ses collaborateurs disent même être en situation de souffrance psychologique. »

L'avocate de Nicolas :

« Il l’a découvert dans sa lettre de licenciement! »

L'avocat de l'employeur :

« Faux. Il a été alerté par son DG : cette situation ne peut plus durer. »

Le président des prud'hommes :

« Quels autres griefs a-t-on avancé pour justifier la faute grave? »

L'avocate de Nicolas :

« Je vous rejoins confrère, la chronologie a toute son importance dans cette affaire: la proposition de rupture conventionnelle a lieu le 20 janvier, mais on lui reproche un fait qui date du 14 janvier. Il aurait envoyé un mail alarmiste à des collaborateurs en violation des règles de procédure, en affirmant que cette communication venait de la direction. »

Le président des prud'hommes :

« Votre interprétation? »

L'avocate de Nicolas :

« La direction avait demandé une réflexion sur une réorganisation entraînant des licenciements. Mon client a fait une présentation au comité directeur qu’il a transmise à dix hauts cadres qui n’étaient pas présents. Cela n’était pas interdit. »

L'avocat de l'employeur :

« Nous sommes dans le contexte de la réforme de la formation professionnelle. Cet événement est considérable au sein des Opca [organisme paritaire collecteur agréé] car les fonds seront moindres. Son DG lui demande de réfléchir à une stratégie, comme aux autres membres du comité directeur. Votre client propose rapidement au DG que les délégués régionaux assistent au Codir. Le DG lui envoie une réponse négative : « cela est prématuré. Discutons entre nous, nous verrons ensuite ».

Or, votre client ne tient pas compte de cette interdiction très claire: après la réunion, il envoie à l’ensemble des délégations sa présentation qui est sur papier à en-tête officiel. Personne ne peut imaginer que c’est un document non validé par la direction. Vous imaginez le choc de la conclusion? « Il faut fusionner avec un autre OPCA et il faut réduire les effectifs ». Ce sont des décisions qui ne doivent pas sortir. Or, les directions régionales ont pris cette information comme officielle. Il a délibérément créé un climat anxiogène. »

Le président des prud'hommes :

« Que s’est-il passé alors, une semaine plus tard, le 20 janvier? »

L'avocat de l'employeur :

« C’était un rendez-vous prévu de longue date. On est 6 jours après les événements. Le DG veut essayer de calmer le jeu. On demande au salarié ses intentions puisqu’il a provoqué le chaos. C’est lui qui dit: « je pars et le chèque c’est 100 000 euros « . Mais on n’a pas les fonds! On rejette. Comme il tente encore de faire monter la pression en interpellant les régions, on le met à pied pour faute grave. C’est la seule réaction possible. Mais je vous rassure immédiatement: il n’a aucun préjudice. Il a retrouvé un poste de DG au sein d’une autre organisation de formation professionnelle. » 

Le président des prud'hommes :

« Sur la charge de travail? »

L'avocate de Nicolas :

« Je peux vous détailler mes tableaux. »

Le président des prud'hommes :

« Non, c’est votre contradicteur que je veux entendre puisque vous avez avancé des éléments. »

L'avocat de l'employeur :

« Chaque mois, c’est lui qui signait ses propres déclarations de travail. Quelle était son amplitude horaire? Franchement, on n’en sait rien. Il était au comité directeur, il avait des compensations. Que vaut un mail avec « OK, merci » envoyé à minuit? »

Le président des prud'hommes :

« Vous avez autre chose à ajouter? »

L'avocat de l'employeur :

« Nous réclamons un article 700 de 3 000 euros et 16 611 euros pour violation de la clause de dédit-formation (lire plus bas) qui lui imposait de rester dans notre organisation jusqu’en 2015 »

17h15, Le président des prud'hommes :

« Les débats sont clos. »

Verdict des prud'hommes le 19 janvier

L’affaire est renvoyée devant le juge départiteur.

La clause de dédit-formation

C’est une clause contractuelle par laquelle le salarié, en contrepartie d’une formation financée par son employeur, s’engage à rester au service de ce dernier pendant une certaine durée. Il s’engage aussi à rembourser les frais de formation engagés par l’entreprise s’il démissionne avant un certain délai.

Pour être valide, cette clause doit réunir trois conditions: le financement de la formation doit être exclusivement à la charge de l’employeur et supérieur aux dépenses imposées par la loi; la clause doit être prévue dans le contrat de travail ou par avenant (la formalisation doit être faite avant le début de la formation) le montant du remboursement des frais doit être proportionnel aux frais de formation engagés. Sa durée peut varier de 2 à 5 ans. Mais cette clause ne s’applique pas en cas de rupture à l’initiative de l’employeur même s’il y a eu faute grave du salarié.

(1) Le prénom a été modifié.

L’express, Par Claire Padych, publié le