Jusqu’au 20 novembre 2020, dans un certain nombre de litiges, le requérant doit, avant de saisir le tribunal administratif, demander une médiation préalable obligatoire (MPO).
Une expérimentation qui vise à réduire la charge pesant sur les juridictions. L’AJDA est allée à la rencontre des acteurs – pour la plupart enthousiastes – de ce nouveau dispositif.
Une expérimentation encadrée
Depuis le 1er avril 2018, certains litiges de la fonction publique et sociaux doivent passer par la case « médiation préalable obligatoire » (MPO) avant de se retrouver devant le juge administratif. Cette mesure est prévue au IV de l’article 5 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle : « À titre expérimental et pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation de la présente loi, les recours contentieux formés par certains agents soumis aux dispositions de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle et les requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi peuvent faire l’objet d’une médiation préalable obligatoire, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ». Mais, il aura fallu attendre le mois de février 2018 pour connaître les modalités pratiques de cette expérimentation.
Un périmètre limité
Le décret du 16 février 2018 (v. AJDA – 2018. 361) limite le champ de la MPO à une série de décisions individuelles défavorables pour certains agents de la fonction publique et certaines prestations sociales.
Sont ainsi concernés les agents du ministère des affaires étrangères, ceux de l’éducation nationale dans les académies d’Aix-Marseille, de Clermont-Ferrand et de Montpellier et, potentiellement, les agents des collectivités territoriales et des établissements publics locaux relevant de l’un des quarante-deux centres de gestion expérimentateurs (V. arrêté du 2 mars 2018).
L’article 1er fixe une liste limitative des décisions individuelles défavorables. Il s’agit de celles relatives à la rémunération ; au refus de détachement, de placement en disponibilité ou de congés non rémunérés prévus pour les agents contractuels ; à la réintégration à l’issue d’un détachement, d’une disponibilité ou d’un congé parental ou relatives au réemploi d’un agent contractuel à l’issue d’un congé non-rémunéré ; au classement de l’agent à l’issue d’un avancement de grade ou d’un changement de corps obtenu par promotion interne ; à la formation professionnelle tout au long de la vie ; aux mesures appropriées prises par les employeurs publics à l’égard des travailleurs handicapés ; à l’aménagement des conditions de travail des fonctionnaires qui ne sont plus en mesure d’exercer leurs fonctions. Sont exclues, en revanche, les mutations et la discipline. Potentiellement, cela représente un stock de 1 882 affaires en 2017 : 1 709 affaires pour la fonction publique territoriale, 133 pour l’éducation nationale et 40 pour le ministère des affaires étrangères.
S’agissant des litiges sociaux, sont visées les décisions relatives au revenu de solidarité active (RSA), à l’aide personnalisée au logement (APL), à l’allocation de solidarité spécifique et les décisions de radiation de la liste des demandeurs d’emploi rendues dans les départements et régions mentionnés dans l’arrêté du 6 mars 2018. En 2017, 1285 affaires enregistrées correspondaient au champ de l’expérimentation : 584 pour le RSA ; 262 pour les APL et 439 pour le contentieux Pôle emploi.
Pour relever de la MPO, ces décisions devront être prises entre le 1er avril 2018 et le 18 novembre 2020.
Dans ces domaines, le requérant qui saisit directement le juge s’exposera à une ordonnance de rejet. Et le tribunal devra transmettre au médiateur compétent le dossier.
Les médiateurs sont celui du ministère de l’Éducation nationale (le quai d’Orsay devant en désigner un), celui de Pôle emploi et les délégués du Défenseur des droits pour le RSA et les APL. Pour les agents des collectivités, le médiateur est désigné par le centre de gestion.
Les collectivités territoriales doivent être volontaires
Pour les agents territoriaux, la situation est un peu plus complexe. Pour que la MPO soit mise en place, il faut que la collectivité qui les emploie accepte de participer à l’expérimentation en signant une convention avec le centre de gestion. L’affiliation au centre de gestion n’est pas nécessaire pour signer la convention. Selon la Fédération nationale des centres de gestion, à la mi-août, près de 1 800 collectivités ont délibéré et signé une convention avec les 42 centres de gestion concernés et plus de 2 600 autres envisagent de le faire. L’article 1er du décret avait fixé au 1er septembre 2018 la date limite de signature des conventions. Mais l’engagement de la collectivité nécessite une délibération, ce qui peut prendre du temps. C’est pourquoi le décret n° 2018-654 du 25 juillet 2018 a repoussé cette échéance au 31 décembre. Il faut ensuite que le centre de gestion désigne un médiateur et qu’il le forme.
Cette étape préparatoire explique que les collectivités n’ont pas pu s’engager, contrairement aux autres, dans l’expérimentation dès le 1er avril. Ainsi, précise Philippe Gazagnes, référent national médiation des juridictions administratives, au 30 juin, six médiations avaient été engagées pour l’éducation nationale : trois sur l’académie d’Aix-Marseille et trois sur celle de Montpellier. Elles concernent la disponibilité, l’avancement ou encore le congé parental. Les décisions de radiation de la liste des demandeurs d’emploi ont généré 87 médiations, dont 53 en Occitanie, 14 dans les Pays de Loire et 20 en Auvergne Rhône-Alpes. 47 sont terminées, dont 16 en Occitanie, 3 dans les Pays de Loire et 7 en Auvergne Rhône-Alpes. Sur ces 47, 21 médiations ont échoué (14 pour l’Occitanie, 6 pour les Pays de Loire et 1 pour l’Auvergne Rhône Alpes). Le taux de résolution est de 55 %. Et le délai moyen d’une médiation est de 18 jours.
Les services du Défenseur des droits ont enregistré, au 31 août, 148 demandes de MPO, dont 109 recevables transmises aux délégués. Ceux-ci ont clos 30 dossiers, en 34 jours en moyenne. Dans 9 cas, les demandeurs ont abandonné leur démarche après explications pédagogiques du délégué. 21 médiations ont été engagées qui ont abouti dans seulement trois cas à ce que l’organisme modifie sa position. Il est évidemment trop tôt, souligne Christine Jouhannaud, pour tirer des conclusions de ces chiffres, particulièrement au regard de la période estivale.
La médiation est gratuite pour les agents de l’État et les litiges sociaux. Pour les collectivités, dans les conventions signées avec le centre de gestion, il y a généralement un volet relatif au financement.
La MPO va-t-elle réellement prévenir la saisine du juge ?
C’est la grande interrogation pour les acteurs du dispositif : combien de médiations préalables obligatoires vont être demandées ? Et ce dispositif va-t-il faire baisser le nombre de recours juridictionnels ?
Certes, le Conseil d’État a fourni des statistiques extrêmement précises sur le nombre de litiges correspondant au champ de la MPO pour les années 2016 et 2017. Mais ces chiffres ne sont sans doute pas l’étiage haut des médiations. La question, dit Christine Jouhannaud, est « quelle appréciation les gens vont-ils porter sur ce nouveau mécanisme ? » Chez le Défenseur des droits, on a calculé que le nombre de recours amiables dans les domaines de la MPO est dix fois supérieur au nombre de recours juridictionnels.
Les incertitudes sont plus grandes encore pour les centres de gestion. Sur le nombre de collectivités qui vont adhérer, d’abord ; ensuite sur celui de leurs agents qui demanderont une médiation. Faire appel à un médiateur est moins difficile que d’engager un recours juridictionnel contre son employeur. En outre, relève Yves Ricordel, le dispositif du compte personnel de formation, créé début 2017 et qui donc n’a fait l’objet que de très peu de contentieux jusqu’à présent, est inclus dans le champ de la MPO et pourrait créer un appel d’air.
Les demandes de MPO pourraient donc être beaucoup plus nombreuses que les contentieux antérieurs. Mais le dispositif pourrait aussi – c’est en tout cas une hypothèse que n’excluent pas nombre d’acteurs – provoquer une hausse de ceux-ci. L’idée étant qu’en cas d’échec de la médiation, le demandeur, toujours insatisfait et peut-être conforté dans sa conviction de son bon droit, se tournerait plus facilement vers le juge après avoir fait ce premier pas.
Litiges sociaux : des délégués du Défenseur des droits aguerris à la médiation
« J’ai vu tellement d’affaires qui n’auraient jamais dû venir devant le juge, des contentieux sur des peccadilles. Alors que le tribunal devrait être la voie ultime. » La médiation, pour Patrick Mindu, n’est pas qu’une occupation pour sa retraite. C’est une conviction, une vocation. L’une des fiertés de sa carrière de magistrat, c’est, lorsqu’il présidait le tribunal administratif de Nantes, l’organisation d’une conciliation pour l’indemnisation des commerçants de la ville dont le chiffre d’affaires avait souffert des travaux du tramway. Bilan : 500 réclamations aboutissant à… deux recours contentieux.
Depuis deux ans et demi, il est un délégué départemental du Défenseur des droits en Loire-Atlantique heureux. « Je continue à faire du droit, mais je ne fais plus de contentieux. » Et c’est avec le même enthousiasme qu’il a commencé à aborder les dossiers de médiation préalable obligatoire. À la mi-juillet, les deux départements de Maine-et-Loire et de Loire-Atlantique concentraient près de la moitié de la cinquantaine de demandes de médiation dont ont été saisis les services du Défenseur des droits. Par conséquent, chacun des sept délégués de Loire-Atlantique en a déjà récupéré trois ou quatre. Et Patrick Mindu touche déjà du doigt les difficultés pratiques de l’exercice avec deux « réclamants », selon le terme utilisé chez le Défenseur, qu’il ne parvient pas à joindre. Faut-il y voir un manque de bonne volonté pour se plier à cette nouvelle formalité ou le simple effet de la période estivale ? Il est trop tôt pour le dire.
C’est l’engagement de la médiation qui est obligatoire
Toutefois, dès la mise en œuvre du dispositif, parmi la trentaine de demandes de MPO arrivées en mai au siège de l’institution, l’une provenait déjà d’un citoyen visiblement peu convaincu de l’intérêt de l’exercice. Presque immédiatement après sa demande, il a fait savoir qu’il la retirait et allait au tribunal. « C’est l’engagement de la médiation qui est obligatoire », relève Marc Loiselle, conseiller affaires publiques au siège du Défenseur des droits. Le décret permet aux deux parties (et au médiateur) d’y mettre fin très aisément.
Pour le Défenseur des droits, héritier du Médiateur de la République, s’engager dans la MPO était logique, explique Christine Jouhannaud, directrice protection des droits – affaires publiques. Mais cela nécessitait une certaine organisation au regard du formalisme qu’implique la MPO. Les délégués, bénévoles, ne disposent pas de moyens ni de secrétariat. C’est pourquoi le choix a été fait de faire remonter toutes les demandes au siège, soit par courrier (sachant que ceux adressés au Défenseur bénéficient d’une franchise postale), soit par courriel (une adresse dédiée a été créée). Les services du siège émettent immédiatement l’accusé de réception qui suspend le délai de recours. Ils vérifient, précise Patrick Mindu, que le dossier correspond au champ géographique et aux prestations visées par le décret et qu’un recours devant la commission de recours amiable a été effectué puis ils transmettent à un délégué. La centralisation des demandes, explique Christine Jouhannaud, facilite également la vie des demandeurs et des organismes sociaux. Ils n’ont pas à chercher à identifier le délégué compétent. Ce sont les services centraux qui le désignent en fonction de sa proximité géographique avec le demandeur mais aussi de sa disponibilité. « On a essayé d’être très pratiques, accessibles. C’est la philosophie de notre institution », rappelle Christine Jouhannaud.
Ensuite, au délégué de jouer, de contacter le demandeur et d’informer l’organisme social dont la décision est mise en cause avant d’engager la médiation. Celle-ci doit durer au maximum trois mois, le délégué ayant la possibilité de la prolonger de la même durée s’il a le sentiment que cela peut permettre un accord.
Les organismes concernés, les caisses d’allocations familiales (CAF), les conseils départementaux ou la mutualité sociale agricole (MSA), les services du Défenseur des droits les ont rencontrés. « Ils se sont montrés très ouverts », affirme Christine Jouhannaud. « Pour nos délégués, ce sont déjà des interlocuteurs habituels ». Ce que confirme Patrick Mindu. Il connaît bien le médiateur de la CAF et continuera à s’adresser à lui pour la MPO comme pour la médiation facultative. « La MPO, dit-il, change surtout des choses pour les usagers. Pour nous, cela se traduit par une procédure un peu plus formaliste, mais notre fonction de médiateur reste la même. » Sachant que les réclamations peuvent porter à la fois sur des prestations dans le champ de la MPO et sur d’autres qui n’en relèvent pas, comme les allocations familiales. Le délégué traitera l’ensemble mais, dans le second cas, le délai de recours n’est pas interrompu, ce qui est complexe à comprendre pour le demandeur, déplore Patrick Mindu.
Des questions qui nécessitent un regard social
Catherine Roche, directrice juridique du conseil départemental de Loire-Atlantique, confirme que sa collectivité accueille positivement la nouvelle procédure. Le département a d’ailleurs décidé de suspendre les procédures de recouvrement des indus pendant la médiation, ce que le décret n’imposait pas. « Nous avons été intéressés par la démarche de médiation car ce n’est pas un sujet étranger pour nous, poursuit la jeune directrice. Le projet stratégique du département prévoit la mise en place d’un médiateur ». Par ailleurs, « on se rend bien compte, devant le tribunal administratif que la réponse pourrait être donnée ailleurs, que les questions évoquées ne sont pas toujours très juridiques, mais nécessitent un regard social. »
Le département compte environ 29 000 allocataires du RSA, principalement gérés par la CAF. Le service insertion emploi du département ne s’occupe directement que des demandes d’allocation des ressortissants de l’Union européenne et des recouvrements d’indus supérieurs à 6 000 €. Ces questions génèrent environ 2 500 courriers par an auxquels répondent les quatre agents du service insertion-emploi. Et même sans médiateur, « il y a vraiment une réflexion sur le maintien de la décision », assure Laurence Diverrès, responsable allocation et animation RSA. Les contentieux sont gérés conjointement par la direction juridique et le service insertion emploi. Et ils sont en baisse : 53 en 2015, 45 en 2016, 38 en 2017.
Dans ce contexte, que peut apporter la médiation préalable obligatoire ? « Il y a une pédagogie à faire, estime Catherine Roche. Il est dommage que parfois les gens ne comprennent nos décisions qu’en lisant nos mémoires en défense ». Pourtant, « on passe déjà beaucoup de temps à expliquer, ce que la CAF et la MSA n’ont pas toujours le temps de faire », précise Laurence Diverrès.
Faire changer les esprits
Il arrive en effet souvent à Patrick Mindu d’expliquer à un réclamant la raison pour laquelle la CAF est dans son bon droit. Qu’il s’agisse de médiation classique ou de MPO, le manque d’interlocuteurs humains dans les administrations – « en face, dit-il en montrant la préfecture, il n’y a plus d’autre guichet que celui des étrangers » – et les décisions mal motivées sont des raisons majeures de faire appel au délégué du Défenseur des droits. « J’ai un réclamant qui demande seulement à mieux comprendre la décision », raconte-t-il. Alors, il va contacter la CAF, lui demander des explications et prendre le temps de les communiquer à la personne qui « ne repartira pas de mon bureau toujours dans le brouillard ».
Au-delà, dit-il, il obtient gain de cause dans trois hypothèses. La première est l’erreur commise par la caisse. Cela arrive. Récemment, il a ainsi fait annuler en huit jours une réclamation d’indu à un allocataire. La commission de recours amiable ne s’était pas aperçue que les sommes en cause étaient prescrites. La deuxième est la présentation d’éléments nouveaux. Enfin, parfois, le médiateur de la CAF parvient à convaincre son directeur que la précarité de l’individu mérite une remise gracieuse ou au moins un étalement. Ce n’est pas simple, les responsables des organismes sociaux sont garants de l’argent public. Souvent, ce qu’ils répondent à Patrick Mindu, c’est que « la commission de recours amiable n’a observé aucune méconnaissance des règles de droit ». Alors, certes la règle de droit, c’est important, ce n’est pas l’ancien président de la cour administrative d’appel de Nantes qui dira le contraire. Mais, « ce que j’essaie d’expliquer, c’est que dans des situations humaines difficiles, il serait bon d’instiller un peu d’équité. » Que « les administrations fassent usage de leur pouvoir d’appréciation, c’est le nœud de toute la problématique ». « Le fait que l’on ait rendu la médiation obligatoire va-t-il faire faire changer les esprits ? ». Tel est, pour Patrick Mindu, la question centrale.
Les centres de gestion deviennent « tiers de confiance »
Les délégués du Défenseur des droits ont une expérience, parfois longue, de la médiation. Pour les centres de gestion de la fonction publique territoriale (CDG), en revanche, c’est une première. Mais une innovation qu’ils accueillent avec un grand enthousiasme, comme le montre le fait que près de la moitié de ces établissements s’y sont impliqués. Ils y ont été fortement encouragés par la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), l’association qui les regroupe, qui a notamment établi une « charte des médiateurs des centres de gestion » et sélectionné des formations à leur attention.
Au centre interdépartemental de gestion (CIG) de la petite couronne, le plus important de France en nombre d’agents gérés (Le CIG petite couronne couvre les départements des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis. Sa spécificité est que la totalité des quelque 360 collectivités et établissements publics de ces départements, employant au total environ 150 000 agents dont 100 000 fonctionnaires, lui sont affiliés, dont la moitié à titre volontaire [l’affiliation aux CDG n’est obligatoire que pour les communes et établissements publics employant moins de 350 fonctionnaires et l’affiliation volontaire est plus rare dans le reste de la France]), la décision a été vite prise, explique Aurore Barthel, directrice générale adjointe. Les trois départements de la petite couronne regroupent près de 20 % des dossiers contentieux recensés sur les sept questions qui font l’objet d’une MPO dans la fonction publique territoriale. Et puis, dit-elle, « nous échangeons beaucoup avec les présidents des conseils de discipline. Ils nous disent souvent que si dans les collectivités le dialogue était plus fluide, on arriverait à déminer des dossiers. »
Les néo-médiateurs de la fonction publique territoriale se préparent eux aussi à faire de la pédagogie, de l’explication de texte. Mais leur objectif n° 1 est d’abord de « faire en sorte que les gens se parlent, renouer le dialogue entre l’agent et son employeur », selon Aurore Barthel. Pour Yves Ricordel, responsable juridique et médiateur au centre de gestion de Loire-Atlantique, « le médiateur doit aider à fluidifier les rapports sociaux ». Car la problématique n’est pas exactement la même que pour les litiges sociaux. Il ne s’agit pas seulement de mettre les parties d’accord sur une décision mais sur la façon dont elles pourront continuer à travailler ensemble à l’avenir. « On sait bien qu’un litige est la partie visible de l’iceberg, dit Yves Ricordel. Il cache souvent quelque chose de plus profond que le médiateur doit résoudre en rapprochant les parties. » Autrement dit, la contestation d’un classement – question a priori très encadrée par les textes et sur laquelle on voit mal quelle peut être la marge de manœuvre du médiateur – peut être le point d’orgue d’années d’incompréhension. Pour ce faire, le centre de gestion et son médiateur se veulent des « tiers de confiance ». La charte de la FNCDG insiste sur leur indépendance, leur neutralité, leur impartialité…
La médiation c’est gagnant-gagnant
La première tâche des CDG a été de convaincre les collectivités d’adhérer au dispositif. Ce qui n’a pas forcément été très compliqué, au regard de la relation de confiance existant entre les uns et les autres. En revanche, le délai était finalement assez court au regard de la nécessité de prendre une délibération de l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement public (raison pour laquelle il a été prolongé, v. supra). À fin août, 47 conventions étaient signées pour le CIG petite couronne, huit devraient l’être prochainement et une quinzaine de collectivités étaient en réflexion. Les collectivités, dit Aurore Barthel, sont souvent très demandeuses de l’intervention d’un tiers de confiance dans les litiges avec leurs agents. Le CIG petite couronne a cependant enregistré quelques craintes « d’appel d’air ». Certaines collectivités sont inquiètes à l’idée que des agents qui n’iraient jamais au tribunal saisissent le médiateur trop aisément avec un coût pour la collectivité. S’agissant d’une mission facultative, le CIG facturera en effet 375 € par mission, une somme assez dérisoire si on la compare aux honoraires d’un cabinet d’avocats et qui permettra de financer le poste dédié à cette fonction. Un ou deux autres pourraient même être créés à l’avenir si la demande est forte. En Loire-Atlantique, en revanche, la décision a été prise, pour la période d’expérimentation, de ne pas facturer ce service auquel ont déjà adhéré 149 collectivités à fin août, d’autres conventions étant en cours. La mission de médiateur est assurée par Yves Ricordel et le directeur général du CDG, Christophe Richard.
Dès lors que la collectivité a adhéré, les agents, eux, n’ont plus le choix : ils doivent passer par la MPO avant tout recours. Les centres de gestion communiquent donc aux tribunaux administratifs la liste des collectivités qui ont signé une convention, pour que les juridictions puissent opposer l’irrecevabilité. Yves Ricordel, médiateur débutant mais convaincu, est persuadé que ce caractère obligatoire n’est pas un obstacle au succès de la médiation. « Le terme obligatoire est exagéré. La collectivité n’est pas contrainte. L’agent, on lui offre un recours supplémentaire, beaucoup moins dur à supporter psychologiquement et beaucoup moins onéreux. Et les parties peuvent faire échec à la médiation dès la première réunion. Il n’y a donc aucun caractère contraignant. Je ne vois que des avantages et aucun inconvénient. » « Dans un recours pour un excès de pouvoir, poursuit-il, le conflit est exacerbé et à la fin, il y a un perdant et un gagnant. La médiation, c’est gagnant-gagnant parce qu’on essaie de concilier les points de vue, de pacifier les rapports employeurs-employés ; de faire en sorte qu’ils se parlent ; de restaurer des rapports courtois sinon cordiaux ».
La culture de la médiation à Pôle emploi
La médiation à Pôle emploi, on connaît. Depuis la loi du 1er août 2008, l’institution est dotée d’un médiateur national et de médiateurs régionaux indépendants. « Le médiateur national est intégré à Pôle emploi, mais il agit en toute indépendance avec des moyens propres. Il ne rend des comptes qu’une fois par an avec la remise d’un rapport au conseil d’administration », l’actuel titulaire du poste, Jean-Louis Walter. Avec environ 30 000 dossiers traités par an, il a dû organiser un réseau de médiateurs régionaux. « Ces relais sont choisis par mes soins au sein des cadres supérieurs de Pôle emploi. Ils suivent ensuite une formation au métier de médiateur. Le métier de médiateur, ce n’est pas de l’amateurisme ». Si les premières années ont été difficiles, la culture de la médiation est aujourd’hui entrée dans les mœurs : les préconisations sont à 99 % suivies d’effets.
Lorsque la secrétaire générale du Conseil d’Etat lui a proposé de se lancer dans l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire, Jean-Louis Walter a accepté à la condition de choisir des régions pilotes. L’Occitanie, les Pays de Loire et Auvergne Rhône-Alpes ont ainsi été désignés. De plus, l’article 2 du décret du 16 février 2018 a circonscrit le périmètre aux décisions relatives à l’allocation de solidarité spécifique et à celles de radiation de la liste des demandeurs d’emploi. Le contentieux de la radiation représente moins de 5% du contentieux de Pôle emploi.
Rétablir le dialogue
À compter de la décision, le demandeur d’emploi a deux mois pour saisir le juge. L’introduction de la médiation suspend le délai contentieux. La procédure contentieuse reprend lorsque le médiateur constate par écrit la fin de cette étape. S’il laisse passer les deux mois, le demandeur d’emploi pourra toujours aller devant le médiateur mais il ne pourra plus faire de recours contentieux.
En pratique, la médiation peut prendre différentes formes. « Beaucoup de saisines sont traitées par mail ou par échanges de documents. La médiation peut aussi donner lieu à des échanges téléphoniques entre le médiateur et le demandeur d’emploi. Quand il le juge utile, il peut faire des entretiens physiques », explique le médiateur national. Les médiations les plus simples sont celles où Pôle emploi n’a pas respecté les textes. Parfois, il faut seulement expliquer les règles de droit. Être médiateur, c’est faire preuve d’écoute et de pédagogie. « Il faut rétablir le dialogue. Beaucoup de conflits naissent parce que les parties ne parlent pas la même langue ».
Parfois, le demandeur d’emploi n’obtient rien mais il comprend mieux pourquoi telle ou telle décision a été prise. « Nous avons mis en place un vade-mecum en interne avec des mots ou des phrases qui sont bannis. On ne rédige pas non plus de courrier type », précise Jean-Louis Walter. Les médiations les plus délicates sont celles où la règle de droit a été bien appliquée mais les conséquences sont catastrophiques pour le demandeur d’emploi. « Dans ce cas, nous faisons des préconisations d’équité. Cela peut, par exemple, conduire à ce que Pôle emploi revienne sur sa décision de radier une personne des listes », explique-t-il.